Saint François d’Assise et les Frères mineurs dans les sermons d’Eudes de Châteauroux

La prédication du XIIIe siècle est souvent associée à celle des Frères mendiants. Pourtant, le prédicateur le plus prolifique de son temps est bien un clerc séculier. Il s’agit du cardinal Eudes de Châteauroux (v. 1190-1273), qui compte plus de 1100 sermons à son actif, dont quinze que l’on peut regrouper sous le vocable de « dossier franciscain ». Ce dernier se compose ainsi de quatre sermons de casibus : deux lors de chapitres généraux des Mineurs (en 1247, RLS 839 [1] et en 1257, RLS 840), un autre à la Portioncule devant la Curie et les dignitaires de l’ordre (en 1265, RLS 465) et le dernier rubriqué ad exhortandum religiosos ad pacem et concordiam (RLS 842). Les onze autres textes sont des sermons de sanctis. Parmi les dix pour la fête de saint François (RLS 717-726), deux sont un peu à part car ils ne mentionnent que très peu le Poverello, ce qui est en réalité plus ou moins annoncé dans leur rubrique, in festo sancti Francisci vel cuiuslibet sancti (RLS 717) et in festo sancti Francisci vel etiam alicuius apostoli (RLS 718). L’autre sermon de sanctis est destiné à la fête de sainte Claire (RLS 967) ; il a été intégré au corpus car il évoque très largement François.

Tous ces sermons sont conservés dans six manuscrits, mais aucun ne contient le corpus entier. Ces manuscrits correspondent à deux éditions préparées par Eudes de Châteauroux [2] ; celui d’Orléans (B.M. Orléans 203) est le seul représentant de la première édition, antérieure à 1261 ; les manuscrits d’Arras (B.M. Arras 876) et de Pise (Pise, Cateriniana 21) correspondent à des étapes intermédiaires, respectivement entre la première et la seconde édition et entre la seconde et une troisième qui n’a pas eu le temps de voir le jour. Quant au manuscrit 1010 de la bibliothèque Mazarine (Paris, Maz. 1010), il appartient à la seconde édition, tout comme ceux conservés à l’AGOP (Rome, AGOP XIV, 34 et Rome, AGOP XIV, 35).

Ces quinze textes montrent à quel point l’étude des sermons consacrés à saint François peut être intéressante. Certes, la prédication ne donne pas de renseignements sur la vie de François lui-même, elle emprunte pour cela aux hagiographies. En revanche, en tant que cardinal, Eudes de Châteauroux donne à voir le saint tel que la Curie voulait le graver dans les mémoires. Ainsi, il établit un équilibre entre les deux facettes du Poverello, faisant de François un modèle pour tous, mais aussi un saint exceptionnel, qu’il parvient pourtant à ne pas élever au-dessus des autres saints. De plus, au-delà de la représentation du fondateur, c’est aussi celle de l’ordre qui transparaît ; Eudes témoigne pour nous des difficultés ecclésiologiques que posent la naissance et le développement des Mineurs et de la façon dont le Saint-Siège les résout. En outre, sa longue vie lui a permis d’observer directement l’évolution de l’ordre depuis ses tous premiers temps, sa croissance extraordinairement rapide qui a affecté son mode de vie ; sur ces questions aussi son témoignage est donc précieux. Par ailleurs, ce séculier pour qui l’office de la prédication est une préoccupation fondamentale peut sembler à certains égards très proche des Mendiants ; il paraît partager une part de leur idéal. Son point de vue est donc d’autant plus intéressant qu’il permet de nuancer l’idée reçue selon laquelle, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, tous les séculiers étaient hostiles aux Mendiants en général, et aux Mineurs en particulier. Au contraire, aux yeux d’Eudes de Châteauroux, ce ne sont pas des concurrents, mais des forces supplémentaires au service de l’Église et de Dieu.

Emmanuelle Choiseau (Université Lyon 2)



[1] Nous désignons tous les sermons suivant le numéro que leur a attribué J.-B. Schneyer dans son Repertorium
des lateinisches Sermones des Mittelalters für die Zeit von 1150-1350
, Münster, Aschendorff, t. IV, 1972, p. 394-483 [Odo de Châteauroux].

[2] Pour la tradition manuscrite des sermons du cardinal, voir A. Charansonnet, L’Université, l’Église et l’État
dans les sermons du cardinal Eudes de Châteauroux (1190 ?-1273)
, thèse sous la dir. de N. Bériou, Lyon,
Université Lyon 2, 2001, p. 249-255 et p. 536-543.